Du 13 avril au 31 juillet 2016
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Déambulation autour des films de Gus Van Sant, ses œuvres plastiques (photographiques, picturales, musicales inédites en France) et ses collaborations artistiques (William Burroughs, William Eggleston, Bruce Weber, David Bowie), l’exposition conçue par La Cinémathèque française explore l’univers de ce réalisateur culte, emblème d’un cinéma anticonformiste, radical et osé.
Le cinéma de Gus Van Sant est la plaque sensible de ce temps de l’Histoire américaine postmoderne (post-Pop, post-Nouvel Hollywood, post-militantisme). Tête de proue du renouveau du cinéma outre-atlantique dit indépendant, que le public français découvre en 1989 avec la sortie en salles de Drugstore Cowboy, il est l’instigateur et le défenseur, en secret, en douceur, d’une liberté artistique qui irradie depuis les marges. Sans étendard et sans manifeste. Pris un à un, indépendamment, les films de Gus Van Sant suscitent l’étonnement. Leurs structures narratives complexes (en forme de mosaïques ou de collages), de même que leurs changements de tonalité, déroutent le spectateur : un cinéma dissonant où la mélancolie et l’humour ne sont jamais pensés en opposition.
Pris ensemble comme un tout, ses seize longs métrages, de par leur extrême diversité, créent une profonde sidération. Comme si, film après film, Van Sant réinventait sans cesse tout son cinéma. On se demande alors si c’est le même metteur en scène qui a arrêté le temps du massacre d’Elephant (inspiré de Columbine) et accéléré la vie du militant gay Harvey Milk. Si c’est le même metteur en scène qui a filmé la jeunesse avec gravité (Elephant, Paranoid Park) et les Pères de la Beat Generation comme des enfants terribles. Fils assumé de ce mouvement poétique contestataire, Van Sant en a gardé le goût d’un anticonformisme esthétique, où se mêlent des revendications politiques, sexuelles et spirituelles.
Ainsi, William Burroughs interprète-t-il dans Drugstore Cowboy un prêtre toxicomane, dont les répliques ont été écrites par ses soins. Ses écrits poétiques ont été aussi la source d’inspiration de deux courts métrages réalisés par Van Sant, dont The Discipline of DE en 1977. Quelques années plus tard, le cinéaste réitérera l’exercice avec Ballad of the Skeletons, film-collage dans la tradition de l’art vidéo, dans lequel Allen Ginsberg, l’autre héraut de ce mouvement, lit son poème éponyme, pamphlet sans fin contre les vanités de la société contemporaine.
UN CINÉASTE AUX MULTIPLES VISAGES
Avec sa filmographie riche et hétérogène, Gus Van Sant nous oblige à repenser ce qu’est un auteur de cinéma. Le metteur en scène américain aux multiples visages brouille les pistes et emmêle les fils rouges, dessinant au final un canevas aux motifs inédits. Jusqu’à tenter de s’évaporer et de s’absenter à lui-même, quand il prend le pari de tourner une copie plan par plan du mythique Psychose d’Alfred Hitchcock. Comme chez tout auteur, il y a certes des thèmes et des visages récurrents (Matt Damon en surdoué turbulent dans Will Hunting en 1997, en explorateur à la dérive dans Gerry en 2002, puis en employé d’une compagnie pétrolière à la recherche d’une éthique dans Promised Land en 2012). Mais surtout une capacité à repartir de zéro, à chaque étape, pour ré-élaborer un nouveau rêve de cinéma. À un moment donné de sa carrière, le rêve consiste à trouver un abri dans les Studios (Universal, Miramax, Columbia) pour imaginer des histoires, au sein d’une superstructure, où la hiérarchie et les règles protègent l’artisan obéissant qu’il est. À d’autres moments, au contraire, ce rêve sera la quête d’une liberté sans condition : des films expérimentaux (culminant avec Mala Noche) autoproduits avec la ferveur du débutant, et plus tard la Tétralogie de la mort (dans l’ordre : Gerry, Elephant, Last Days, Paranoid Park), séries d’expériences formelles radicales, qui redéfinissent avec grâce et acuité l’espace américain (le désert, le lycée, la forêt et le skate park n’ont jamais été aussi inquiétants, respectivement, depuis Raoul Walsh, David Lynch, Terrence Malick et Larry Clark).
Nourri de références venues d’ailleurs aussi, et particulièrement d’Europe (de Béla Tarr à Chantal Akerman, en passant par Bernardo Bertolucci), Gus Van Sant n’en reste pas moins un cinéaste en synchronicité perpétuelle avec l’état (réel ou inconscient) de son pays. L’Amérique violente des déclassés et des exclus, l’Amérique des scrapbooks et de l’envahissement des médias, l’Amérique de la terre brûlée et de l’écologie en danger. L’Amérique qui a inventé le folk et le psychédélique, une manière d’être au monde irrévérencieuse et on the road : la route métaphysique et matricielle de laquelle on vient (Idaho) ; et celle au contraire, labyrinthique, qui ne mène nulle part (Gerry). La route qui libère Will Hunting dans le dernier plan du film (assumer pour la première fois son choix de partir), et celle qu’emprunte Marion Crane (Anne Heche), dans la nuit, à la même vitesse que celle de son alter-ego Janet Leigh dans le film d’Hitchcock, dont Psycho de Van Sant est le double malade, vrillé, incontrôlable : ce sont les mêmes plans ou presque, la peur au ventre, la pluie battante et le policier inquisiteur avec ses grandes lunettes noires. Van Sant aime à s’aventurer sur des terrains neufs ou au contraire au centre d’empires d’ordinaire intouchables. L’intérêt est de jouer de la latitude qui lui plaît, en pur cinéaste, comme si le faire l’emportait toujours sur le voir. L’écriture cinématographique sur la réception.
Gus Van Sant aime interroger le cinéma, sans C majuscule et sans sacralisation, positionnant son discours à l’aune de sa pratique personnelle. Avec une passion à décrire les outils qui lui permettent de créer : les objectifs de caméra et les typologies de pellicules, la picturalité du grain (qui le ramène à sa passion première pour la peinture, dont l’exposition montrera une vingtaine de grandes toiles inédites en France, créées pour la plupart spécialement au sein de la Galerie Gagosian de Los Angeles en 2011), le travail de spatialisation du son, et l’exercice du mixage. Son processus de travail s’épanouit dans le cadre d’une équipe liée par la confiance, générant des dispositifs de mise en scène paradoxalement complexes et efficaces : en particulier sa complicité avec les chefs-opérateurs Christopher Doyle, et plus encore Harris Savides, qui fit la lumière magique de six de ses films. Van Sant ne cache pas son obsession pour l’abstraction, même quand ses films sont basés sur des faits réels (Milk), des faits divers (Prête à tout) ou des récits autobiographiques (Mala Noche, Drugstore Cowboy). Même ses films les plus politiquement engagés n’ont jamais pour mission de dénoncer. Ils sont pensés pour toucher, comme s’ils étaient, avant tout, d’essence tangible, tactile, sensorielle (Milk, monté avec l’énergie impérieuse d’un ciné-tract, où les archives deviennent les chambres d’écho des jouissances et des cris de ses héros). La dimension de manifeste, qui évolue dans son œuvre selon des modalités à chaque fois renouvelées, n’est jamais antinomique avec une émotion, qui habite ses personnages dans leurs gestes les plus familiers ou les plus incongrus : se caresser sous la douche avant de commettre une hécatombe (Elephant), danser avec des patins à glace sur une morte (Prête à tout), tomber d’un roc géant sans égratignure (Gerry), se déguiser en femme, une carabine à la main (Last Days), dessiner les limites de son corps à la craie sur l’asphalte (Restless).
Une gestuelle qu’étaye son travail photographique, central dans l’exposition, entrepris spontanément dans les années 80 avec, en particulier, ses séries de centaines de Polaroids. Tout se joue sur l’équilibre, au sein du cadre, entre ombres et lumières, avec une évidence désarmante. Gus Van Sant ne capture rien. Au contraire, il libère, met à égalité tous ces individus croisés au moment de préparer ses films (qu’ils soient acteurs, danseurs, auteurs, chanteurs), échantillon métonymique du peuple américain. Il n’a pas peur de la figuration, la plus directe et la plus crue. Il croit au contraire à l’apparition du corps, et assume là (comme avant lui Mapplethorpe ou Warhol, sur lequel d’ailleurs il eut le projet de faire un film) son désir homosexuel. Un désir qui, au-delà d’un formalisme théorique, part de ces signes de reconnaissance qui font la jeunesse, pour mieux les subvertir et les transformer : la grâce du regard et l’intensité unique de l’instant présent.
Dans le fond, c’est comme si chacun de ses films donnait à voir l’adolescent éternel qu’il était, lui permettait de revivre, en cinéma, des fragments de sa vie d’avant, ses rencontres originelles, sa fascination pour la peinture de Matisse (Will Hunting) ou la musique du Velvet Underground (Last Days). Il y a chez Van Sant un besoin d’images pour se raconter ou tout simplement pour être. Comme si chaque film était une réconciliation profonde avec lui-même et le rêveur qu’il est. Chez lui, le réel, fait de clairs-obscurs, d’ellipses et de décrochages poétiques, flirte irrémédiablement avec le fantastique et le funeste. Un au-delà païen. Chez Gus Van Sant, la mort déferle toujours. D’un côté, ceux qui partent ; de l’autre, ceux qui restent et résistent. Gus Van Sant est de ceux-là : un artiste qui renaît chaque fois et incarne la part la plus humaine du cinéma américain.
Exposition : Gus Van Sant
Dates : Du 13 avril au 31 juillet 2016
Lieu : La Cinémathèque française
51, rue de Bercy
75012 Paris
Métro : Bercy (lignes 6, 14)
Bus : lignes 24, 64, 87
Parking : 77 rue de Bercy (Hôtel Mercure), 8 boulevard de Bercy.
Horaires : Lundi, Mercredi, Vendredi : 13h-19h.
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h.
Samedi, Dimanche : 10h-20h.
Fermeture le mardi.
Plein tarif : 11 euros